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31 janvier 2009

« Si le gaspillage continue, nous allons à la catastrophe »

Chronique de l’AN I

Il y a 33 ans ….

R_n__dumont_2René Dumont  : « Si le gaspillage continue, nous allons à la catastrophe »
C’était un jour d’avril 1976. Alors jeune journaliste, j’ai frappé à la porte de celui qu’on appelait « l’agronome de la faim » pour une des mes premières interviews. René Dumont (1904-2001) était l’un des premiers à dénoncer les dégâts issus de l’agriculture productiviste. Premier écologiste à s’être présenté à une élection présidentielle en France pour sensibiliser sur l’état de notre planète, l’homme m’a reçu avec chaleur et amitié. Il avait des liens affectifs très forts avec mon pays natal la Tunisie. Nous nous sommes revus de nombreuses fois à l’occasion de la sortie de ses ouvrages. Extrait d’un entretien qui s’est déroulé avec l’auteur il y a plus de 30 ans…

Question : Quand je cite certains titres de vos ouvrages : « Nous allons à la famine », « l’Afrique est mal partie », « L’utopie ou la mort », «  La croissance de la famine », ces titres sont des cris d’alarme. Qu’est ce qui va mal sur notre planète ?

René Dumont : Ce qui va mal sur notre planète, c’est que la croissance de la population est plus rapide que celle des produits alimentaires. Chaque année, le Tiers-monde, dans son ensemble, est importateur d’une quantité croissante de céréales. Si les courbes actuelles de la population et de la production se confirment, le Tiers-monde manquera de 85 à 100 millions de tonnes de céréales et le problème se posera, vu l’endettement de ces pays.

Il y a eu, ces trois dernières années, un demi million de vrais morts de faim. Chaque année, et selon les chiffres de la FAO, on compte 4 à 5 millions de surmortalité due à la sous-alimentation.

Que peuvent faire les pays développés pour aider le Tiers-monde ?

Ils doivent déjà faire cesser le pillage des matières premières de ces pays. Ils doivent aussi leurs payer correctement ces produits. Les riches doivent payer plus cher le pétrole, le fer, l’aluminium, la bauxite, le cuivre… tous les produits minéraux. Il faut augmenter les ressources de ces pays pauvres  pour qu’ils puissent acheter leurs aliments.

Que pensez-vous de l’initiative du dialogue Nord-Sud, lancée par le Président Giscard d’Estaing ?

Il faut que les privilégiés des pays développés consentent à renoncer à leurs privilèges. Ceux-ci ne consentiront au développement des pays pauvres que si ces derniers s’unissent et font front commun face aux pays riches. C’est la seule solution pour amener les riches à évaluer et mieux comprendre la situation.

Il faut aussi une solidarité entre les pays pauvres. Dans le groupe des 77, il y a déjà l’ébauche d’une organisation commune de ces pays. La cohésion de ce groupe est encore insuffisante. Lors de la dernière réunion à Manille, en janvier dernier, en ouvrant la séance, le Président Marcos a dit : « Le Tiers-monde n’a plus le choix qu’entre la guerre et la mort ». Nous devrions réfléchir sur les conséquences d’une telle déclaration.

Pour vous, s’il y a des affamés, c’est parce que d’autres sont trop gavés ?

Eh ! Oui. Dag Hammarskjöld, Secrétaire général des Nations-Unies disait : « Il faut choisir entre nourrir les pauvres ou les cochons des riches ». Le chien américain consomme plus que l’homme indien.

Vous étiez candidat à l’élection présidentielle de 1974. Quel était le sens de cette candidature ?

Non, je n’étais pas candidat. On m’a demandé de déposer ma candidature. Ce sont les écologistes qui m’ont demandé  de me présenter à cette élection, non pas pour être président, mais pour avoir accès aux moyens d’information : la télévision, la radio et les journaux. J’ai recueilli 338 700 voix, soit 1,33 % des suffrages exprimés.

C’est important, parce que c’était la première fois qu’il y avait un candidat écologiste. Aujourd’hui, grâce à votre candidature, les Français connaissent mieux l’écologie et sont prévenus contre les dangers de la pollution et de la destruction de la nature. Mais croyez-vous que les Français iraient jusqu’à abandonner leurs véhicules individuels ou bien, comme vous l’avez proposé une fois, à s’organiser pour n’utiliser qu’une machine à laver à chaque étage ?

Il est évident que ceci ne se fera pas sans une certaine forme de contrainte. Cette contrainte va arriver : nous sommes en pleine crise économique, sans précédent. Pour en sortir, il faudra un jour être obligé de réduire certaines formes de consommation. Je pense qu’un jour viendra où l’essence sera rationnée en France. Et ensuite délivrée au marché libre à un prix bien supérieur à celui du marché rationné ! A ce moment-là, les gens qui vont sur la Côte d’Azur chaque week-end, en automobile, hésiteront à prendre leur voiture. Il faudra un certain nombre de contraintes économiques pour faire renoncer les Français à leurs abus.

Il est difficile aujourd’hui de convaincre les citoyens des pays riches et de leur faire comprendre par exemple qu’ils participent à la famine dans le Tiers-monde quand ils mangent de la viande deux fois par jour.

Je pense qu’il faudrait des mesures fiscales pour augmenter le prix de la viande, qui doit être un élément de luxe. La même chose pour le prix de l’essence. Notre économie est axée sur l’accumulation du profit. Il faudrait une économie axée sur l’épargne des ressources rares de la planète que sont l’air, l’eau, l’énergie, les métaux, les minerais… Alors, on pourrait par une forte taxation de l’énergie, rendre le gaspillage de l’essence et de la viande plus coûteux. Pour cela, il faudrait d’abord réduire les inégalités sociales dans les pays riches et s’attaquer aux inégalités entre les pays développés et les pays en développement.

Comment voyez-vous la situation de notre planète en l’an 2000 ?

Si la situation évolue suivant les lignes actuelles, en l’an 2000, les riches mangeront encore plus de viande, gaspilleront plus de céréales données au bétail, tandis que les pauvres seront encore plus pauvres et affamés. C’est cette évolution qu’il faut briser. Il faut déclencher une rupture avec le système actuel. Mais déclencher cette rupture avec le système capitaliste n’est pas chose facile car on risque de tomber dans le Goulag soviétique et l’inefficacité bureaucratique. Nous devons sortir du régime capitaliste sans tomber dans le Goulag et le chaos économique. Pour cela, il faut une action réformiste. Je me suis fait traiter de réformiste par des étudiants africains, lors d’une conférence, l’autre jour à Nancy. Je le répète, cette action réformiste doit orienter le régime capitaliste de façon décisive vers l’épargne des ressources rares de la planète. Pour cela il faudrait une volonté politique. En 1972, Giscard d’Estaing, ministre des finances, a réussi à organiser à Paris une réunion sur les conclusions du Club de Rome. On a parlé de tous ces problèmes, mais maintenant qu’il est au pouvoir, je ne le vois plus tenir compte de ces menaces qui rongent notre planète.

Comment regardez-vous le chemin que vous avez parcouru en compagnie de l’Homme et de la terre ? Avez-vous l’espoir que les choses changent ?

S’il n’y avait pas d’espoir, je n’aurais pas écrit tant des livres, je n’aurais pas fait des centaines de réunions publiques et je ne passerais pas mon temps à échanger et à tenter de convaincre.

J’ai plus de 70 ans, et si je n’avais plus d’espoir, je me serais reposé. Mais j’ai de l’espoir, à condition que nous luttions. Si on laisse faire les choses, nous allons à la catastrophe. Je dis encore « l’utopie ou la mort ».

Sommes-nous plus proches de la mort que de l’utopie ?

Oui, on est proche naturellement, de la mort,  mais il y a encore de l’espoir.

(Extrait de l’ouvrage La consommation écologique, Ezzedine El Mestiri , Editions Jouvence)

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